Examen de « Qui Peut Être Sauvé? » par Avery Cardinal Dulles, S.J.

            Le défunt cardinal Avery Dulles, S.J était l’un des savants catholiques les plus éminents de l’histoire américaine.  Collaborateur fréquent de la revue œcuménique Premières Choses, Dulles a écrit sur une variété de sujets dans le contexte de la “doctrine en développement » de l’Église catholique. »In » Qui Peut Être Sauvé? », de l’édition d’avril 2008 de Premières Choses, Dulles aborde la question du salut pour les non-catholiques dans la tradition théologique de l’Église, qui s’étend des Évangiles au pontificat du pape Saint Jean-Paul II. Dulles conclut que si le Nouveau Testament est au mieux silencieux sur le sort de la doctrine catholique non évangélisée et même contemporaine reste prudente sur ce sujet, il existe un soutien historique suffisant, datant des premiers siècles de la Foi, pour tenir à la possibilité du salut pour ceux qui, sans faute de leur part, ne croient pas au Christ et qui suivent les préceptes de leur conscience.

            Dulles commence son article par plusieurs paragraphes consacrés aux exigences du salut telles que décrites dans le Nouveau Testament.  Il trouve l’élucidation la plus claire de la doctrine chez Saint Paul, en particulier chez les Romains, qu’il résume comme “la foiinseparable inséparable du baptême. Il note cependant qu' » il semble évident que ceux qui sont devenus croyants ne pensaient pas avoir été sur le chemin du salut avant d’avoir entendu l’Évangile. »Au fur et à mesure que l’Église apostolique se transformait en Église patristique, les théologiens primitifs reconnaissaient que les Juifs qui avaient vécu en prévision du Messie étaient certainement sauvés, et ils incluaient aussi parfois avec eux les païens qui, ignorants de l’Ancienne Alliance, avaient tenté de vivre conformément à la raison.  Pourtant, Dulles insiste sur le fait qu ‘ »il n’y avait aucune doctrine selon laquelle les païens pouvaient être sauvés depuis la promulgation de l’Évangile sans embrasser la foi chrétienne.”

            Une étreinte sans réserve de extra ecclesiam nulla salus était l’ordre théologique du jour jusqu’à la contre-Réforme.  Avec la découverte des Amériques, et en réaction à la pensée de Luther et de Calvin, qui rejetaient l’enseignement de l’Église catholique selon lequel Dieu veut vraiment le salut de tous, les théologiens catholiques ont élaboré la doctrine d’un “baptême du désir” pour ceux qui, inculquablement ignorants de la vraie Foi, s’efforçaient néanmoins de suivre la loi naturelle et accepteraient, supposait-on, le baptême s’il était offert de manière crédible, ainsi que la croyance en le Dieu Trinitaire et le Christ Incarné (qui depuis l’époque de Thomas d’Aquin avait été considéré comme les doctrines essentielles du salut).  La question de savoir si ce désir implicite conduisait nécessairement à une foi explicite en cette vie ou seulement au moment de la mort était restée sans réponse, bien que le Concile Vatican II ait semblé favoriser ce dernier et ait également eu tendance à considérer l’Église comme “l’organe universel du salut”, travaillant à travers d’autres religions, par opposition à une vision restrictive de la fonction de l’Église en tant qu’Arche.

            La clé pour comprendre la doctrine catholique à travers les siècles et en particulier à l’époque moderne est l’idée du Cardinal Newman du “développement”, en réalité une innovation de la période patristique et une expression de toute l’idée d’une “Nouvelle Alliance” – tout comme le Christ a réaffirmé avec autorité et pourtant aussi réinterprété la Loi mosaïque, de sorte que l’Église a le droit, sous la direction de l’Esprit, de développer la doctrine, parfois même contre les attentes des dogmatiseurs, mais sans jamais contredire sa logique intérieure.  Cela est particulièrement clair lorsque nous considérons la question du salut en dehors de l’Église: Le cardinal Dulles reconnaît ouvertement que les auteurs originaux du Nouveau Testament ne semblaient pas admettre la perspective du salut pour ceux qui ne professaient pas explicitement la foi au Christ.  La faille, que le catholicisme contre-réformateur a exploitée, est que la croyance en le Fils implique que l’on a entendu, compris et convaincu.  Si l’on n’a pas entendu, compris ou convaincu, alors on ne peut pas être tenu responsable de ne pas croire.  Dulles résume cela à la fin de son essai: “La grâce salvatrice de Dieu, canalisée par le Christ Médiateur unique, ne laisse personne sans assistance.  Mais cette même grâce apporte des obligations à tous ceux qui la reçoivent.  Ils ne doivent pas recevoir la grâce de Dieu en vain.  On exigera beaucoup de ceux à qui on donne beaucoup.”

            Pourtant, on pourrait reprocher à Dulles de ne pas avoir plaidé sa cause aussi fermement qu’il le pourrait.  J’ai été surpris de ne trouver aucune référence aux Limbes dans l’essai, où Dante a consigné même de grands musulmans tels qu’Averroès et Saladin, qui n’ignoraient guère le christianisme.  Les limbes sont en enfer, certes, mais le littéraire Dante le décrit comme une demeure “lumineuse et haute. »Et bien qu’il se réfère à l’enseignement de Bl. Pie IX, qui enseignait que les non-catholiques vivant dans l’ignorance pouvaient être sauvés, Dulles néglige de mentionner la déclaration énergique du Pape: “Maintenant, alors, qui pourrait présumer en lui-même une capacité à fixer les limites d’une telle ignorance, en tenant compte des différences naturelles des peuples, des terres, des talents indigènes et de tant d’autres facteurs? »Il est important ici de noter que dans la logique propre du Pape (bien qu’il ne soit sans doute pas allé aussi loin), il est possible que tout soit sauvé.  Encore une fois, cela nous renvoie au développement de la doctrine: les premiers chrétiens n’ont peut-être pas cru que les non évangélisés pourraient être sauvés, mais leur théologie n’exclut pas la possibilité, et donc elle peut valablement être réinterprétée par l’Église.

            Malgré ces défauts“ « Qui Peut Être Sauvé? » est un résumé érudit et lisible de la pensée catholique concernant les possibilités de salut en dehors de l’Église.  Le cardinal Dulles retrace de manière crédible mais honnête l’évolution de la doctrine depuis les paroles mêmes du Christ Lui-même jusqu’au XXIe siècle, montrant que si la reconnaissance par l’Église que de nombreux non-catholiques peuvent être sauvés en toute confiance est assez nouvelle, ses racines sont profondes dans la théologie catholique et ressemblent même à l’enseignement des Pères apostoliques.  Cet article est indispensable pour ceux qui désirent un degré quelconque de compétence dans le développement historique de la sotériologie catholique romaine.